Barbara - à Gottingen
La mort de Bruno restera à jamais
liée dans mon esprit à Gottingen,
à cause de la chanson de Barbara que la radio jouait ensuite
dans la voiture de papa,
et qui m'a toujours plongée dans une intense, brève, mélancolie,
comme si j'y avais perdu ma famille
et tous mes amis,
dans cette
ville inconnue.
L'accordéon nostalgique réitérant un petit
goût de regret,
et ce parfum d'hiver et de guerre sans victoire, qui n'en finit pas de se
dissiper
parce que la mélodie s'enroule sur elle-même comme une spirale ;
tout est resté en toile de fond de l'appel qui m'annonçait sa mort,
avec les
berges blêmes de la Seine au début du mois de mars,
et les plateaux calcaires
tout hérissés de brun surveillant la crue paisible,
et les bernaches sauvages
qui acceptent le pain rassis des hommes à la fin de l'hiver.
Mais il est vrai, après tout, qu'il n’a plus jamais
fallu prendre les armes,
et que les bernaches s'en iront bientôt vers des cieux
plus bleus,
et qu'en mars, les forêts brunes du pays normand se voilent déjà
d'un vert très clair.
Et que, sûrement, Bruno n'a fait que prendre de
l'avance, au-delà de la matière,
au niveau prodigieux de l'atome composé presqu'uniquement
de vide,
et d'énergie.
Je n'avais jamais perdu un ami. Mais, pour moi, ce jour-là, Bruno ne se perdait pas.
Il s'en allait rejoindre
l'été,
alors que nous,
on n'en était
qu'au tout début du printemps.