03 marzo 2014

Gottingen (pour Bruno)

Barbara - à Gottingen

La mort de Bruno restera à jamais liée dans mon esprit à Gottingen, 
à cause de la chanson de Barbara que la radio jouait ensuite dans la voiture de papa, 
et qui m'a toujours plongée dans une intense, brève, mélancolie, 
comme si j'y avais perdu ma famille 
et tous mes amis, 
dans cette ville inconnue. 

L'accordéon nostalgique réitérant un petit goût de regret, 
et ce parfum d'hiver et de guerre sans victoire, qui n'en finit pas de se dissiper 
parce que la mélodie s'enroule sur elle-même comme une spirale ; 
tout est resté en toile de fond de l'appel qui m'annonçait sa mort, 
avec les berges blêmes de la Seine au début du mois de mars, 
et les plateaux calcaires tout hérissés de brun surveillant la crue paisible, 
et les bernaches sauvages qui acceptent le pain rassis des hommes à la fin de l'hiver. 

Mais il est vrai, après tout, qu'il n’a plus jamais fallu prendre les armes, 
et que les bernaches s'en iront bientôt vers des cieux plus bleus, 
et qu'en mars, les forêts brunes du pays normand se voilent déjà d'un vert très clair. 
Et que, sûrement, Bruno n'a fait que prendre de l'avance, au-delà de la matière, 
au niveau prodigieux de l'atome composé presqu'uniquement de vide,
et d'énergie. 

Je n'avais jamais perdu un ami. Mais, pour moi, ce jour-là, Bruno ne se perdait pas. 

Il s'en allait rejoindre l'été, 
alors que nous, 
on n'en était 
qu'au tout début du printemps.